Le 5 mars dernier se tenaient, dans l’enceinte du Palais du Luxembourg, les Rencontres de l’UFS, organisées sous le haut patronage du Sénateur Laurent Duplomb. Près d’une centaine de participants ont assisté à cette première édition, consacrée aux solutions innovantes portées par l’agriculture en réponse aux transitions environnementales et alimentaire attendues par les citoyens.

Nous vous proposons de retrouver, par écrit et en vidéo, les principaux enseignements de cette matinée riche en expertises et points de vue.

Introduction - Claude TABEL, Président de l’UFS 

Après avoir remercié les différents intervenants, et notamment le Sénateur Laurent DUPLOMB pour leur présence, Claude TABEL a tenu à faire une présentation succincte de l’UFS : 135 entreprises implantées sur le territoire français, qui font de la sélection, de la production et la mise sur le marché de semences pour toutes les agricultures.
Le Président de l’UFS a ensuite estimé que le SIA était une formidable vitrine, permettant à l’UFS de présenter ses missions et son action. Mais il a également permis de révéler une image de l’agriculture assez tendue, d’un secteur très critiqué. Claude TABEL y voit une forme de défiance qui entraine une crise de confiance, ce qui requiert, de la part de ses acteurs, de rester à l’écoute.
Pour ce faire, Claude TABEL souligne l’importance de continuer à donner un éclairage sur le rôle de l’innovation dans la transition agricole, dont la semence est un des exemples clés.

 

Allocution de Mme Sophie PRIMAS, Sénatrice

La sénatrice Sophie PRIMAS a insisté sur le rôle que jouait l’innovation en agriculture. Elle a en effet regretté que les discours politique, soient trop axés sur la compétitivité, et pas assez sur l’innovation. Selon elle, l’agriculture de demain sera façonnée par les avancées technologiques, dans tous les domaines.Lors d’une table-ronde organisée par la commission des affaires économiques, il était justement ressorti que l’innovation devait être davantage encouragée, notamment à travers des incitations fiscales. Mais pour que l’innovation soit acceptée par les citoyens, il est, selon Sophie PRIMAS, nécessaire de faire preuve de pédagogie, de davantage éduquer les Français. 
Cette communication envers la société civile doit également permettre de répondre à l’un des maux de l’agriculture : la stigmatisation grandissante des agriculteurs dans le débat public (par exemple concernant l’utilisation des pesticides).

 

S.Abis - Club DEMETER : « L’agriculture face aux mutations du monde »

Sébastien ABIS a souligné que l’agriculture était atemporelle, universelle et quotidienne.  Malgré cela, il a tenu à expliquer que le monde connaissait un certain nombre de mutations :
  • La population mondiale a doublé, il y a donc plus de bouches exigeantes à nourrir. Pour proposer une alimentation de qualité pour tous, il faudrait ainsi produire mieux, tout en réduisant l’empreinte environnementale.
  • Les attentes et la compréhension de l’agriculture par les citoyens a considérablement changé. Il propose donc quelques pistes pour mieux appréhender ce nouveau paradigme :
    • Faire preuve d’indulgence envers les consommateurs, qui restent déconnectés de l’agriculture
    • Contrer les peurs et informer sur la sécurité alimentaire
    • Être attentif au manque de visibilité de l’information pour le consommateur, et y remédier via les moyens normatifs et réglementaires
  • La science est l’objet d’une controverse politique et sociétale. Il existe une contradiction forte : on accepte la science pour l’être humain, mais on la refuse pour le végétal et les sols. L’innovation de demain devra donc être combinatoire et intensive en savoir.
Selon Sébastien ABIS, il faut ainsi remettre l’agriculture au cœur des politiques publiques. Si elle a longtemps fait l’objet d’un accompagnement, cette politique d’accompagnement s’est aujourd’hui distendue. Les politiques publiques créent des barrières, et donc des situations de distorsion de concurrence par rapport à d’autres pays.
Il a également noté un choc de temporalité, entre l’immédiateté du temps politique et le temps long du monde scientifique, qu’il faudrait réussir à atténuer.

 

TABLE RONDE 1 « Produire plus, mieux, avec moins : quels scénarios pour anticiper l’avenir ? »

Les questions climatiques sont au cœur des grands enjeux de l’agriculture. Mais la météorologie a ses limites. C’est une science très jeune car elle n’a que 150 ans, mais la science évolue très vite. Il faut être à la fois ambitieux et très humble. Il appelle à reprendre la dimension du temps long.
L’impact de la météorologie sur la planète aujourd’hui n’est pas plus fort qu’auparavant, selon Louis BODIN. Il serait peut-être même un peu moindre, car nous avons progressé en matière de prévision. Il est donc nécessaire de retrouver de la sérénité, d’accepter les marges de variabilité du temps : la relation économique, sociétale et du citoyen au temps doit évoluer.
Louis BODIN a également appelé à ne pas sombrer dans l’obscurantisme et a regretté que les citoyens aient tant de défiance à l’égard des journalistes et des politiques.
Eric BIRLOUEZ a concentré son intervention sur l’alimentation. Il a souligné que les agriculteurs de demain devront combiner innovation et tradition.
Le sociologue a également évoqué un changement de la perception de ce qu’est un aliment de qualité pour les citoyens : en 2000, les français privilégiaient le goût, quand en 2018, ils accordaient plus d’importance au label bio.
Cela montre que les français sont beaucoup plus attentifs à la qualité de leurs aliments :
  • Ils font le lien entre la qualité de l’alimentation et la santé,
  • Le prix le plus bas n’est plus le critère principal d’achat. Il ne concerne que 35% des Français
Thème récurrent dans les interventions, Eric BIRLOUEZ appelle à faire attention à l’utilisation du terme « agribashing », qui peut devenir contreproductif.
Selon le politologue, l’agriculture est une nouvelle partie-prenante de l’économie. Cependant, il existe pour elle un risque sociétal qui est un facteur d’insécurité, et qui s’exprime de 3 façons :
  • Les mouvements radicaux de riverains
  • Les associations extrêmes et activistes (comme celles qui s’introduisent dans les exploitations)
  • Les citoyens engagés
Il existe un clivage entre les scientifiques et les non-scientifiques, lié à la méconnaissance du terrain. Ce clivage existe également entre la modernité et la volonté d’un retour en arrière. Des contre-pouvoirs sont nécessaires pour faire changer les modèles.
Selon le politologue, l’agribashing est une critique radicale, illégale et ne souffrant aucune contradiction. C’est désormais une idée installée.

 

En introduction, le Sénateur a constaté le désarroi des agriculteurs, alors que ceux-ci produisent plus et mieux qu’avant. Il a regretté que cela ne soit pas davantage reconnu.
Laurent DUPLOMB a ensuite évoqué son rapport « La France, un champion agricole mondial : pour combien de temps encore ? », réalisé au nom de la commission des affaires économiques du Sénat.
Dans ce rapport, il démontre que l’arrivée de produits étrangers sur le marché français a entraîné une évolution importante et cependant non reconnue de la consommation. Les français réclament du bio, mais lorsqu’ils consomment hors foyer, ils ne se posent pas la question. Or, 80% des bovins sont importés lorsqu’il s’agit de restauration hors foyer.
Dans son rapport, il fait le constat que :
  • La France agricole perd de sa superbe
  • 25% du revenu des agriculteurs vient de l’export de leurs produits
  • Les français consomment 1,5 jour par semaine des produits importés, dont ¼ ne correspondent pas aux normes françaises
La France souffre d’un manque de compétitivité sur le coût de la main d’œuvre, par rapport aux pays voisins (Espagne, Portugal, Italie…), qui se combine à une augmentation des charges. Les agriculteurs supportent également les normes environnementales les plus élevées au monde selon l’OCDE.
Le Sénateur a conclu en rappelant que la France fait aujourd’hui face à un grand désarroi des agriculteurs. L’excédent commercial français a été divisé par 2 en 5 ans.

 

TABLE RONDE 2 « Donner toute sa place à la science, condition d’une transformation agricole réussie »

Selon la Sénatrice, la science est l’une des réponses aux enjeux actuels, mais elle n’est pas la seule et ne peut s’imposer : elle dépend de l’acceptabilité sociale. La science ne peut pas tout et ne doit pas tout. Elle sera un allié à l’heure de répondre au défi climatique et à l’augmentation de la population mondiale.
Elle considère que le législateur doit permettre l’utilisation de la science, de façon encadrée, si :
  • Elle permet de produire pour répondre aux besoins alimentaires
  • Elle permet une alimentation plus saine
Elle rappelle qu’il existe une défiance des citoyens à l’égard de la recherche. Celle-ci doit expliquer « plus et mieux ». Elle considère qu’il faut ouvrir un grand chantier sur l’acceptabilité de la science en France.
Selon Franck BERGER, l’amélioration des plantes est consubstantielle à l’invention de l’agriculture. Cette amélioration sert à donner de la sécurité à son alimentation. Cela s’est d’abord traduit par la volonté d’augmenter les quantités par rapport au travail fourni à travers l’amélioration des plantes. Cela existe depuis 10 000 ans, c’est un continuum.
L’augmentation de la quantité produite à travers le monde est due pour moitié au progrès génétique, dans les 70 dernières années. Le secteur semencier y a donc contribué fortement.
A partir des années 70, il y a également eu des demandes qualitatives auxquelles le secteur semencier a pu répondre. Par exemple, on a recherché à obtenir des variétés de tournesol plus productives pour les lipidiques, ce qui a permis une indépendance alimentaire et on a cherché à augmenter la part des « bonnes huiles ».
Le Vice-président de l’UFS a aussi rappelé que le secteur semencier consacrait en moyenne 13% de son chiffre d’affaire en R&D. La recherche publique est articulée avec un secteur privé efficient, ce qui lui permet d’accéder à un certain nombre de connaissances, qui sont mises en application. La recherche est aujourd’hui influencée par ce qui a été initié il y a 5, 10 ou 15 ans : c’est du temps long.
Finalement, il appelle les législateurs à faire attention aux freins, notamment ceux qui pourraient découler des décisions de justice récentes.
Selon le directeur Général de Terres Innovia, il n’existe pas de recherche sans intérêt privé (philosophique, économique…). La recherche est fondamentale, et est menée en amont pour la compétition mondiale.
D’après lui, il faut remettre les connaissances en situation opérationnelle. La recherche doit :
  • Être multi-performante: la production doit répondre à des résultats économiques, environnementaux et sociétaux.
  • Renforcer la compétitivité, non pas des agriculteurs mais dans la segmentation, la logistique, la diversification des chaînes de valeur…
  • Respecter une logique sanitaire
L’amélioration des plantes s’insère dans un défi d’innovation, qui doit répondre aux trois points précédents, malgré le changement de temporalité : le commerce et la demande sociétale répondent au temps court, la recherche est sur le temps long.
Selon Alain SAVARY, on vit aujourd’hui une évolution en matière de nouvelles technologies numériques, désormais automatiques. On est passé de la mécanique originelle, à des techniques de précision et d’automatisme.
Cela est lié à l’existence de technologies nouvelles et à l’intégration par les industriels de la connaissance agronomique.
La précision permet désormais la recherche d’une performance agronomique et zootechnique, ce qui permet de gérer au mieux les intrants nécessaires à la culture.
Et c’est par le travail commun que les entreprises trouveront des solutions.
Le directeur général d’Axema a tenu à rappeler que nous n’étions pas dans une innovation de progrès mais de rupture : il existe en effet des prises de risque, qui induisent des coûts et des conséquences…

Conclusion - Christiane Lambert, Présidente de la FNSEA

Selon Christine LAMBERT, il est nécessaire de repartir des assiettes. Si la FNSEA souhaite contribuer à la sécurité alimentaire mondiale, elle souhaite en même temps répondre aux aspirations de la « génération mieux manger ». L’industrie agro-alimentaire a ainsi été la première à être « challengée ». Les agriculteurs sont maintenant sollicités par les consommateurs qui veulent plus de bio, plus de produits tracés, plus de « sans »…
Aujourd’hui, le dialogue est toutefois indispensable. Il se fait déjà, de façon bienveillante avec la majorité des Français, mais parfois aussi de manière tendue. Christiane LAMBERT a tenu à rappeler que le dialogue entre professionnels était le plus souvent positif, sérieux.
Elle a également rappelé que la FNSEA disposait d’un comité des parties-prenantes, composé d’acteurs divers faisant une relecture attentive des orientations de la fédération. Selon elle, la FNSEA s’inscrit donc au cœur des problématiques sociétales.
Pour Christiane LAMBERT, l’agriculture fait l’objet de nombreuses attentes, mais elle est trop souvent réduite aux caricatures sur les produits phytosanitaires ou le mal-être animal. Elle a donc appelé les politiques à être courageux et à se placer au-dessus de ces débats.
Les agriculteurs ne comprennent pas toujours ce qui leur arrive, et utilisent eux-mêmes le terme d’agribashing. Il faut noter qu’ils se forment plus que la moyenne. Christiane LAMBERT fait une différence entre l’agribashing violent qui se traduit notamment par des actes malveillants, et les questionnements légitimes des consommateurs.
Selon la présidente de la FNSEA, l’agriculture de demain sera écologico-intensive. Une approche combinatoire qui sera nécessaire.
La profession agricole s’est en effet saisie du défi de l’enjeu climatique. Elle est à la fois victime, cause et solution. En effet, les champs captent du carbone, et un marché du carbone a été mis en place, afin d’exploiter le potentiel de décarbonation de l’agriculture. Elle souligne plusieurs innovations essentielles :
  • Innovation génétique
  • Innovation dans le pilotage
  • Innovation d’agroéquipement
  • Innovation administrative

 

Clôture - Laurent DUPLOMB, Sénateur

Selon le Sénateur, l’agriculture doit être mieux comprise, et il faut se rappeler l’histoire. La profession a toujours été au rendez-vous de l’histoire.
Le modèle de notre agriculture est familial et non industriel. Elle est également multifactorielle : elle façonne les paysages, permet le développement des biocarburants…
Notre agriculture a également su répondre aux enjeux économiques, à travers la mondialisation. La PAC a ses avantages, mais elle ne subventionne pas les agriculteurs, elle subventionne le pouvoir d’achat des européens.
Selon le Sénateur, il est nécessaire d’avoir un message d’objectivité : il ne faut pas tomber dans la peur qui engendre les interdits. L’agriculture s’est rénovée. Cette objectivité est nécessaire pour se faire un avis : « Nous avons tout fait pour l’égalité, pour la liberté, mais que faisons-nous pour la fraternité ? »
Il souligne que, s’il y a beaucoup de critiques sur notre modèle, il ne faut pas le bannir car il présente de nombreux avantages : proximité, circuit court, AOP, agriculture biologique…
Il ne faut cependant pas opposer les différents modèles. On ne peut pas accepter que notre agriculture entière ne produise que pour une partie des Français, notamment le bio. Il faut selon lui faire preuve de respect, se retrouver autour d’un projet agricole commun qui combine progrès, recherche et innovation.
Il faut également porter une attente particulière sur :
  • Les aléas climatiques
  • La réduction des produits phytosanitaires
  • Le bien-être animal
Le Sénateur a conclu son intervention en rappelant qu’il fallait inciter l’Etat à avancer sur ces sujets, et cesser la stigmatisation afin que la France continue à faire des produits de qualité.