Introduction de Claude TABEL

Claude TABEL a débuté cette séance publique par un constat : après avoir assisté à un mouvement de remise en cause de la science et de l’innovation au cours des quinze dernières années, plusieurs signaux positifs ont pu être observés depuis 2020 et la crise Covid-19. D’une part, la fin du scepticisme envers la science, de l’autre, la prise de conscience des dépendances, notamment alimentaires, et du risque de désindustrialisation de la France.

La guerre en Ukraine a également fait la lumière sur un changement de paradigme : l’alimentaire et l’énergie ne sont plus acquis, c’est la « fin de l’abondance » pour reprendre les mots du Président de la République.

Malgré un contexte anxiogène, notamment lié à l’amplification des périodes de sécheresse et à l’accélération du changement climatique, les acteurs ont su garder une capacité d’adaptation déterminante. La recherche du bien commun doit ainsi rassembler et non diviser, en évitant que des groupes ne s’approprient la défense du bien commun.

L’UFS est convaincue que la science, l’innovation et le dialogue contribuent au bien commun. L’écosystème agricole et agroalimentaire agit chaque jour pour nourrir le monde, en garantissant une sécurité alimentaire et de la durabilité, deux composantes essentielles de ce bien commun.

Grand Angle − « La notion de Bien commun a-t-elle de l’avenir ? »

  • Antoine BUENO – Conseiller au Sénat et essayiste

Le grand angle a débuté par un aveu d’Antoine BUENO sur sa réaction après avoir été invité aux Journées UFS : La découverte du secteur semencier a permis de rapidement lever ses a priori, et de comprendre toute l’ampleur du rôle des semenciers pour contribuer à la sécurité alimentaire.

Il s’est attelé à définir la notion de bien commun, concept « à la mode », en ce qu’il évoque l’intérêt général, social, écologique. Datant d’Aristote et développée par Saint-Thomas-d’Aquin, l’idée de bien commun est déclinable : un patrimoine collectif, un bien géré à plusieurs ou un intérêt supérieur dont la défense serait permise par une gestion publique et non privée.

Selon l’essayiste, le bien commun passera par la transition énergétique, industrielle et agricole, mais aussi une transition quantitative et qualitative, pour « produire plus et plus durablement ». Cette transition pourrait reposer sur trois volets que sont l’agroécologie ; la transition de l’élevage (avec l’intégration du prix du carbone dans la production de calories animales et une transition alimentaire) et la fin de la déforestation (en érigeant les forêts au rang de bien commun). Les semences sont parties intégrantes de ces trois volets : « l’agroécologie sans variété nouvelle est trop intensive en main d’œuvre et pas assez productive » ; « la fin de la déforestation sans variété nouvelle entraîne une baisse des surfaces agricoles et donc de la productivité » ; et le verdissement de l’élevage qui impactera les semences, avec un possible report des semences pour l’alimentation animale vers l’alimentation humaine.

Table ronde : « Peut-on concilier nos défis de productivité et de durabilité ? »

  • Serge ZAKA, Agro-climatologue, ITK
  • Éric FRÉTILLIÈRE, Président, Irrigants de France
  • Sarah SINGLA, Agricultrice
  • Philippe MAUGUIN, Président Directeur Général, INRAE
  • Laurent GUERREIRO, Président du Directoire, Groupe RAGT

 

Perspectives à horizon 2100 : des bouleversements attendus pour le climat et les productions agricoles

L’introduction de cette première table ronde a été réalisée par l’agro-climatologue Serge ZAKA. Dans une présentation sur les impacts du changement climatique, il s’est intéressé aux évolutions depuis 1961 et perspectives d’ici la fin du siècle pour les sécheresses, les canicules et les productions de blé et maïs.

Sécheresses

On constate une hausse de la pluviométrie depuis 1961 mais également une hausse des surfaces touchées par la sécheresse. Si la pluviométrie reste stable, les précipitations sont de plus en plus arythmiques, avec un desséchement des sols puis des fortes pluies dont l’eau ne parvient pas à pénétrer dans le sol.

Canicules

Leur fréquence et leur intensité n’ont cessé d’augmenter. D’ici la fin du siècle, nous connaîtrons des canicules de 90 jours à plus de 31 degrés.

Impacts sur les productions de blé et de maïs

Ils sont et seront nombreux. Dans les deux cas, une forte hausse depuis 1950 puis une stagnation de la production dans les années 2000 sont constatées. Si la production future du blé devrait se maintenir, elle risque de fortement chuter pour le maïs dans le sud de la France d’ici 2050. Par ailleurs, les effets du changement climatique (sécheresse, échaudages), couplés à la diminution des rotations, pénalisent fortement les progrès apportés par la sélection variétale.

Face à ces constats, quels leviers ?

  • L’adaptation avec les améliorations génétiques (résistance au stress hydrique, aux maladies), les nouvelles espèces et les filières ; l’évolution des pratiques agricoles (date de semis, techniques de conservation des sols, agriculture numérique) et des techniques (stockage de l’eau) ;
  • L’atténuation avec, par exemple, le stockage du carbone.

 

De l’enjeu de multiplier les leviers de réponse au changement climatique (stockage de l’eau, nouveau modèle agricole)

Pour Éric FRÉTILLIÈRE (Irrigants de France), il est évidemment possible de concilier productivité et durabilité, à condition de savoir gérer et stocker la ressource en eau. Si la France a une abondance en eau (2ème pays avec le plus de ressources en eau en Europe, derrière la Norvège), elle connaît des difficultés de gestion. Le Varenne agricole de l’eau a permis plusieurs avancées, telles que la création d’un délégué interministériel rattaché à la Première ministre, à défaut de créer un secrétariat général à l’eau.

Si le sujet du stockage est enfin abordé politiquement, la mise en application des décrets ouvre encore la porte à des négociations.

Sarah SINGLA (agricultrice et agronome) a présenté le modèle de l’agriculture de conservation des sols, qui permet l’implantation de cultures sans travail du sol. Outre la baisse des charges de mécanisation, ce modèle permet de produire plus et plus souvent (dans son cas, avec deux récoltes annuelles).

Si ce modèle manque encore un peu de visibilité, il est duplicable à tous les territoires, car implémentable sur tous les sols. Sarah SINGLA a également indiqué que tous les agriculteurs, passés à l’agriculture de conservation, sont restés dans ce modèle.

 

L’importance de la combinaison des leviers et de la recherche pour faire du secteur semencier un soutien de la transition agricole

Philippe MAUGUIN (Inrae) a rappelé la nécessaire combinaison des leviers (diversification, agronomie, numérique, biocontrôle, bio-équipements, génétique) pour parvenir à la conciliation entre productivité et durabilité. Les laboratoires travaillent en ce sens, à travers des partenariats entre recherche fondamentale et recherche privée (travail sur le microbiote des plantes par exemple).

La révision de la directive OGM qui s’annonce doit également permettre de reconnaître la spécificité des NBT, qui œuvrent en faveur de l’identification de traits intéressants pour le bien commun. Face aux controverses sur les biotechnologies et à leur amalgame avec les OGM, il y a un réel enjeu de clarification des cibles visées par les techniques d’édition génomiques, pour montrer leur rattachement au bien commun. Le système des COV doit également rester opérant.

L’Inrae lance par ailleurs un programme prioritaire de recherche de 35 millions d’euros sur de nombreux sujets (régénération in vitro, recherche de variétés et plantes pour l’agriculture de conservation, plants de campagne etc.).

Laurent GUERRERO (RAGT) s’est attelé à rappeler que le progrès fait partie intégrante du travail des semenciers. En effet, l’inscription des variétés au catalogue est conditionnée par essence à un critère de performance. Toutefois, le progrès présent à l’inscription peut être diminué par les conditions climatiques, à l’instar de ce qu’exprimait Serge ZAKA en ouverture de la table ronde. Par ailleurs, le temps long de la recherche en sélection variétale implique d’anticiper l’évolution des conditions climatiques. Il a également rappelé que la productivité et la durabilité sont les deux piliers de l’agriculture de demain, tout en portant une vision multi-performante plus qu’agroécologique, l’enjeu étant ne pas créer des contraintes plus importantes que les solutions qu’on cherche à mettre en place.

Serge ZAKA a pu rappeler que si les progrès en sélection variétale sont contrebalancés par le changement critique, ils ont toutefois permis d’éviter une « année 2022 désastreuse ».

 

Sur les controverses et l’agribashing

Serge ZAKA a tenu à rappeler que l’agriculture est un sujet d’une grande complexité, qui ne saurait être abordé de manière manichéenne, au risque de tomber dans des débats stériles.

Malgré la diversité des enjeux et des acteurs, Sarah SINGLA a insisté sur la portée fédératrice de l’agronomie qui rassemble toutes les disciplines.

Philippe MAUGUIN s’est félicité que l’opinion publique commence à réaliser les enjeux et les risques liés au changement climatique.

L’agriculture doit par ailleurs être reconnue comme un secteur vital, un propos abondé par Eric FRETILLERE. Si l’agriculture constitue un intérêt général majeur, le stockage de l’eau fera partie des solutions pour servir cet intérêt général, à condition que les pays européens se mettent d’accord, sur l’interprétation de la directive-cadre relative à la gestion de l’eau notamment.

Pour le mot de la fin de cette première table ronde, Laurent GUERRERO a insisté sur le nécessaire encouragement des NBT, en constatant qu’il « est difficile de demander autant du secteur de la semence tout en limitant ses possibilités de développement ».

Table ronde : « Nourrir le monde, un défi qui nous rassemble »

  • Matthieu BRUN, directeur scientifique de Fondation FARM
  • Pablo GIL, membre du collectif « Pour un Réveil Ecologique », étudiant ingénieur
  • Pierre LOUAULT, Sénateur d’Indre-et-Loire
  • Regis FOURNIER, directeur Semences de Grandes Cultures chez Limagrain
  • Arnaud GAILLOT, président des Jeunes Agriculteurs

 

Les risque d’une crise alimentaire mondiale

La discussion s’est ouverte sur une présentation de Matthieu BRUN (Fondation FARM) sur les risques croissants d’une crise alimentaire mondiale. En effet, il observe que la hausse des prix des produits agricoles est antérieure à la guerre en Ukraine, et que cette dernière a simplement accéléré la tendance. Matthieu BRUN a également attiré l’attention sur la tendance des crises à se superposer, l’instabilité politique entrainant l’insécurité alimentaire, et inversement.

Se focalisant sur le continent africain, où la Fondation FARM est la plus impliquée, il a identifié deux échéances qui annoncent le risque d’une crise alimentaire :

  • L’année 2023, où se profile une crise de la demande, liée à une crise de l’offre, de la logistique et à l’inflation ;
  • L’horizon 2030, lorsque l’Afrique subsaharienne, en proie à une croissance démographie très importante, aura une population âgée pour la moitié de moins de 25 ans.

Pour éviter ces crises et atteindre la souveraineté alimentaire, Matthieu Brun préconise une triple stratégie basée sur ce qui peut être produit et consommé sur place ; ce qui ne peut pas l’être ; ce dont d’autres peuvent dépendre pour leur sécurité alimentaire.

 

La question du renouvellement des générations, ou l’enjeu de renforcer l’attractivité du secteur, par la prise en compte des enjeux climatiques

La table ronde a ensuite abordé la thématique du recrutement des jeunes dans le secteur agricole, et notamment, à travers les interventions de Pablo GIL (collectif « Pour un Réveil écologique »). En effet, celui-ci a évoqué l’importance que la jeunesse actuelle accorde aux politiques écologiques des entreprises lors de la recherche d’un emploi. Pablo GIL a estimé que la mise en place, par les entreprises, d’une formation sur les enjeux climatiques pour leurs employés, aurait un impact bénéfique conséquent sur leur recrutement de jeunes. Arnaud GAILLOT (JA) a ensuite rappelé, face au défi de la sécurité alimentaire, l’importance pour le secteur agricole de recruter suffisamment, alors que ce dernier souffre d’un manque d’attractivité. En ce sens, le pacte d’orientation et avenir pour l’agriculture, annoncé pour 2023 par le Président de la République, doit permettre d’adresser l’enjeu du renouvellement des générations.

 

La perte de compétitivité de la Ferme France, une préoccupation sénatoriale

Pierre LOUAULT (sénateur Union Centriste d’Indre-et-Loire) a présenté le rapport d’information sur la perte de compétitivité de la Ferme France, dont il était co-rapporteur. Après avoir établi que l’agriculture française était de moins en moins compétitive, le rapport identifie deux raisons principales derrière ce phénomène. Premièrement, le cadre législatif et réglementaire particulièrement stricte de l’agriculture française qui surpasse celui des autres pays membres de l’UE. Pierre LOUAULT, citant l’exemple des néonicotinoïdes, a également estimé que le Gouvernement manquait parfois d’anticipation lors de la mise en place de mesures règlementaires ou législatives, interdisant certaines pratiques ou produits sans proposer d’alternative viable au secteur agricole. La deuxième raison, qui découle de la première, est que la France importe un certain nombre de produits agricoles en réponse au cadre réglementaire et législatif strict. Par conséquent, le rapport plaide pour une dérégulation et un soutien politique accru au secteur agricole, qui gagnera en compétitivité notamment grâce à l’innovation et à la recherche.

 

L’importance de l’innovation variétale et de la coopération internationale

Régis FOURNIER (Limagrain) est revenu sur les difficultés qu’a connu la production de semences en Europe cette année, notamment à cause de la guerre en Ukraine et de la sécheresse. Il a ensuite appelé au rassemblement mondial autour du défi de nourrir la planète, notamment à travers les échanges en matière d’innovation variétale et semencière. Pierre LOUAULT a partagé ce point de vue, en déclarant que les NBT ne sont pas des OGM et en insistant sur la nécessité pour les agriculteurs, de coopérer avec la science pour relever les défis de demain.

Arnaud GAILLOT a clos la table ronde en appelant à l’union entre agriculteurs et semenciers autour du pacte d’orientation et d’avenir agricole, prélude à la futur loi d’orientation et d’avenir agricole, attendue au Parlement au premier semestre 2023.

Intervention de Marc FESNEAU (vidéo) :

Un soutien affiché aux semenciers face à leurs enjeux actuels et une prise de position en faveur d’un cadre européen adapté pour les NBT

Reconnaissant les difficultés auxquelles doivent actuellement faire face la filière semencière, notamment les problèmes de production et de logistique provoqués par la guerre en Ukraine et la flambée des prix de l’énergie, le Ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Marc FESNEAU, a tenu à assurer la filière de la mobilisation de son ministère pour identifier des solutions. Il a également rappelé l’importance de la filière semencière pour l’objectif de souveraineté alimentaire de la France.

Le Ministre a aussi salué les investissements en recherche et développement de la filière semencière, qui fait partie des premiers secteurs industriels français.

Il a également qualifié l’innovation variétale de « levier majeur pour assurer la transition agroécologique » et a appelé à l’instauration d’un cadre réglementaire adapté et proportionné aux NBT, permettant l’innovation tout en assurant la sécurité sanitaire et environnementale, alors que la Directive 2001/18/CE dite « Directive OGM » doit être prochainement révisée.

Conclusion de Claude TABEL

Claude TABEL s’est félicité que la contribution du secteur semencier au bien commun ait fait l’objet d’un consensus entre tous les invités. Il a néanmoins insisté sur la nécessité de remettre au goût du jour l’importance de l’agriculture, notamment grâce à la désignation d’ambassadeurs au sein des entreprises semencières, afin d’expliquer et de mettre en avant les apports du secteur dans le débat public. Enfin, Claude TABEL a rejoint les propos de Marc FESNEAU sur le besoin impérieux de faire évoluer le cadre réglementaire existant autour de l’innovation variétale.